Regards de spécialistes : Jean-Paul Cadoret “Je parie sur le développement des microalgues”
June 8, 2022
Dans quelles mesures les microalgues peuvent répondre aux évolutions environnementales et sociétales ? Sur quelle force, l’Europe peut compter pour devenir leader dans ce domaine ? Pour tout savoir des pouvoirs des microalgues, rencontre avec l’un des plus grands spécialistes du sujet, Jean-Paul Cadoret, Président de l’EABA, (European Algae Biomass Association) dont Microphyt fait partie.
Quelle est la place des microalgues face aux enjeux environnementaux et sociétaux que sont le réchauffement climatique et la souveraineté alimentaire ?
L’atout de taille des microalgues est leur incroyable biodiversité. Elles offrent un très large panel d’applications grâce à leurs particularités. Apport en vitamines, en antioxydants, en lipides, en sucres…Leur métabolisme permet d’aller chercher exactement ce qui nous intéresse, selon les espèces.
Il faut néanmoins replacer cette richesse dans un contexte réglementaire européen où la liste des aliments autorisés est réduite. Par ailleurs, la production des microalgues est plus chère que celle de l’agriculture. C’est une des raisons qui a conduit les professionnels français et européens des microalgues à miser sur la valeur ajoutée de ces microorganismes.
Sur le plan environnemental, leur culture est durable. Elle n’entre pas en concurrence avec les surfaces agricoles et personne ne va vider la mer pour les cultiver ! Toutes les étapes de développement des microalgues dans des photobioréacteurs comme chez Microphyt, sont contrôlées. En tant que végétaux, elles permettent également de recycler le carbone de façon vertueuse. Certaines stations d’épuration utilisent les microalgues en aval car elles consomment l’azote et le phosphore des eaux usées.
Les plus beaux champs d’applications actuels sont l’aquaculture, la cosmétique et l’alimentation fonctionnelle.
Les microalgues ont-elles des qualités inédites qu’on ne trouve pas dans d’autres végétaux ?
Elles sont d’une efficacité redoutable parce qu’elles ne perdent aucune énergie à puiser dans leurs racines et à irriguer des feuilles comme les plantes terrestres. Elles ont tout en un et baignent dans leur milieu nutritif. Une comparaison est assez éclairante : vous obtenez 1 gramme de biomasse par jour pour 1m2 de culture de plantes en milieu tempéré. Dans les mêmes proportions, vous récolterez entre 10 et 20 gramme de biomasse avec les microalgues. Les rendements sont exceptionnels !
Autre différence avec les végétaux terrestres, les microalgues marines fournissent des acides gras polyinsaturés comme les oméga-3 et les oméga-6 et des balances en acides aminés très recherchés dans l’alimentation. Dans la cosmétique, elles ont la capacité de produire des molécules à haut pouvoir de protection contre les UV. Leurs propriétés antioxydantes sont aussi intéressantes, par exemple, pour des produits à appliquer sur la peau.
Par ailleurs, certaines microalgues possèdent des familles de pigments, des molécules qui n’existent pas sur la terre ferme, chez aucune plante terrestre !
Comment se situent les producteurs de microalgues européens par rapport aux autres continents ?
On peut résumer ainsi : sur les champs des microalgues, l’Europe est très forte alors que sur celui des macroalgues, c’est l’Asie qui se distingue.
Aux États-Unis, la mise sur le marché d’aliments est soumise à une procédure déclarative auprès de la FDA ce qui leur permet une ouverture vers un marché important.
Les producteurs européens de microalgues sont plus petits mais très nombreux. Dans l’ensemble, ils se positionnent sur de la haute valeur ajoutée avec une recherche poussée des fonctionnalités. L’Union européenne a encouragé cette tendance en valorisant les collaborations avec les universités. Nos interlocuteurs de l’administration européenne connaissent aujourd’hui le pouvoir des microalgues, les emplois qu’elles peuvent générer, leur rôle dans l’indépendance européenne et les discussions sont très constructives. Les efforts d’évangélisation de l’EABA y ont sûrement contribué !
Quels sont les verrous à lever pour développer, à large échelle, ces solutions naturelles ?
Un des premiers freins est la lourdeur de la machine européenne. Les lois méritent d’être simplifiée. Le paradoxe est grand entre l’Europe qui soutient les projets microalgues et celle qui promulgue des lois très contraignantes pour leur développement. L’Europe veut se protéger et protéger le consommateur et dans le même temps, elle encourage la recherche et les phases d’industrialisation.
Un autre verrou fort est l’acceptation des consommateurs. Il faut qu’ils comprennent que les qualités incroyables des microalgues répondent à leurs attentes de mieux être, d’alimentation plus saine, de respect environnemental et de durabilité. L’amalgame avec certaines espèces d’algues polluantes est trop fréquent. A nous de mieux promouvoir le pouvoir exceptionnel des microalgues.
Sur le plan technologique, je ne vois plus vraiment de verrous. L’écosystème européen technologique s’adapte et réagit très vite. Il est créatif, voire pionnier. Pas un mois sans une nouvelle innovation sur les procédés de photobioréacteurs.
Au-delà de ces verrous, je parie sur un développement des microalgues stimulé par la demande et une valorisation de l’aval, c’est-à-dire de cette incroyable biomasse qui ouvre de très nombreux champs d’application.
La mini-bio de Jean-Paul Cadoret
- Jean-Paul Cadoret préside l’EABA (European Algae Biomass Association), interlocuteur de référence au sein de l’Union européenne.
- Il est également directeur scientifique de la société Algama, fournisseur d’ingrédients alimentaires à base d’algues.
- Ce spécialiste a publié plus de 70 articles sur les algues et déposé 8 brevets.